Une histoire de carafe

C’est d’une soirée d’hiver comme je les aime pourtant que tout est parti. Une de ces soirées chaleureuses où on se retrouve avec une touche de Savoie et un zeste de Reblochon. Les quilles se laissent goûter et se vident discrètement, entre les discutions passionnées et le fromage qui fond, et voilà qu’on arrive à en déboucher de nouvelles pour compléter la déco de la table… et c’est là que fuse le premier « P’tin mais trouve toi une carafe Laurent ! ».

Alors j’ai cherché une carafe, puis j’ai essayé de me rappeler pourquoi je voulais pas de carafe, puis j’ai re-cherché une carafe, puis j’ai oublié…

C’est après 150 manœuvres et une roue sur le trottoir, que je claque la porte et tombe sur elle en me retournant. Avec ces formes voluptueuses et son ouverture incisive, je l’avais trouvée… ou elle, enfin en tout cas, je n’avais presque qu’à tendre le bras !

Je l’ai donc ramenée chez moi, oubliant les oignons que je devais passer chercher et l’ai immédiatement mise dans le bain. Il était 19h moins le quart, l’heure idéale pour mettre un Clef de Sol en carafe. Elle était luisante et trônait au centre de la table avec élégance. Contenant fièrement le breuvage délicieux dont elle affinait l’arôme.

Quelques quilles plus tard, allez savoir si c’est sa vrai nature qui a pris le dessus, ou si c’est l’habitude qui effaçait doucement les étincelles dans mes yeux, mais ces formes trop exagérées en devenaient arrogantes. Elle ne rentrait dans aucun espace de placard disponible et ses formes fragiles demandaient toujours qu’on la traite avec plus de délicatesse, comme si elle allait se briser au moindre courant d’air. Elle commençait à me faire penser aux brocs d’eau qui ornaient les cantines de mon enfance. C’est d’ailleurs pour ça que ne je voulais pas de carafe, certains souvenirs nous hantent parfois. Sans compter qu’elle s’était immiscée dans mon couple dès le début avec l’histoire des oignons.

Bref, c’est lorsqu’elle a commencé à violenter un Chevalerie 95 que j’ai su que c’était fini !

C’est là que j’ai ouvert les yeux, et une fois qu’on y a mis un pied, c’est trop tard. Alors que je m’agitais à remettre la Chevalerie là où elle était restée pendant toutes ces années, la vicieuse en a profité pour se glisser entre mes doigts et se jeter au sol. Répandant sur le carrelage le reste de Chevalerie que je n’avait pas eu le temps d’épargner.

Alors je vous le dis sans rancœur aucune, ne vous laissez pas prendre pour une carafe, par une carafe, alors que le plus gros de l’aération se fait lorsque vous transvasez le vin, et non une fois qu’il est dans la carafe.